09/10/2008

La mémé évaporée

Sur Clavène, planète minière de type 4, les prospecteurs avaient installé leurs campements aux abords immédiats de l'aire d'atterrissage, sans que les autorités essayent même d'y mettre de l'ordre. Léna s'arrêta au bas des échelons, se demandant si elle n'allait pas immédiatement rembarquer.

Mais la vieille fille se dit qu'elle ne pouvait point abandonner ainsi sa chère mémé, surtout après un aussi long voyage. Dix ans auparavant, dans un enregistrement vidéo, elle lui avait déclaré que, le jour où elle aurait assez d'économies pour s'offrir un aller-retour jusqu'ici, elle viendrait voir comment elle était installée. Ce n'était donc pas le moment de flancher. Il faut cependant reconnaître que l'accueil n'était pas des plus chaleureux. Le campement de mineurs avait même un air des plus lugubres.

Une fois le poste de contrôle franchi, Léna se dirigea vers un vélotaxi et tendit au robot en uniforme bleu la carte sur laquelle elle avait soigneusement écrit :

Grand-mère Dany

Baraquement 7658

Clavène capitale, Ouest.

Le robot acquiesça et elle eut juste le temps de s'installer dans la minuscule coque avant que le taxi ne prenne la direction demandée.

Grand-mère Dany habitait de l'autre côté du campement aperçu lors de son arrivée. Ici les baraques de bois, chacune entourée d'un minuscule jardin, avaient des allures moins tristes.

Le taxi la déposa devant une maison qui paraissait à l'abandon. Léna ne s'en inquiéta guère. Vu l'âge avancé de la mémé celle-ci ne devait pas avoir beaucoup l'occasion d'entretenir la baraque et le jardin. La vieille fille aurait tout de même espéré qu'un voisin s'en occupa un peu.

Elle posa sa valise et son parapluie et frappa à la porte. Le silence s'éternisant elle se décida à entrer. La maison était vide. Cela faisait incontestablement plusieurs mois que plus personne ne vivait ici de manière régulière. Où donc était passée mémé ? La dernière fois qu'elle avait reçu un message vidéo d'elle, c'était à peine quelques mois auparavant. Et jusque-là, elle était censée toujours habiter à la même adresse.

Songeuse, Léna s'assit à la table de la pièce qui servait tout à la fois de cuisine, de salon et de chambre, et étudia le lieu du regard. Elle s'étonna de ne voir aucun des bibelots dont sa grand-mère avait l'habitude de s'entourer, ni les photos diverses qu'elle punaisait aux murs. Que s'était-il donc passé ? Si la vieille avait rendu l'âme l'administration lui aurait immanquablement fait parvenir un certificat de décès, et si elle était tombée malade sans doute l'aurait-on prévenue.

Elle rangea sa valise dans un coin et cliqua deux fois sur son tututeur de poignet. Cinq minutes plus tard, un vélotaxi s'arrêta devant la porte pour l'emmener au centre de Clavène capitale, c'est-à-dire à l'astroport, car c'était là qu'étaient installés les bureaux administratifs ainsi que le centre commercial.

Elle s'arrêta tout d'abord au commissariat pour signaler la disparition de mémé Dany. Mais le fonctionnaire auquel elle eut affaire ne trouva pas trace de la vieille dame dans son fichier informatique qui recensait pourtant tous les habitants, vivants ou morts, depuis l'arrivée des premiers colons.

— Diable, fit le policier penaud. Voilà qui est fâcheux. Aurions-nous oublié d'enregistrer grand-mère Dany ? Ou pire, y aurait-il un bogue dans l'ordinateur central et certains fichiers auraient-ils été malencontreusement effacés ? Désolé, Madame, j'appellerais les archives demain matin pour savoir ce qu'il en est. Je vous tiendrai au courant.

— Une mémé ça ne disparaît tout de même pas comme ça, s'offusqua Léna.

— En effet, approuva son interlocuteur, et sans doute allons-nous la retrouver sous peu.

La vieille fille acheta des provisions pour une semaine puis retourna à la baraque numéro 7658.

En arrivant, elle eut la mauvaise surprise de voir que sa valise et son parapluie avaient été jetés sur le chemin et qu'un couple logeait dans la maison.

— Mais, s'inquiéta Léna, que faites-vous chez grand-mère Dany ?

— Grand-mère Dany, s'étonna l'homme à la carrure de déménageur. Jamais entendu parler.

— Ceci est la demeure de ma grand-mère.

— Cela serait surprenant, car nous possédons cette maison depuis huit ans.

Une femme en robe de chambre élimée s’approcha et lui demanda, suspicieuse :

— Qui êtes-vous ? Et que venez-vous faire ici ?

— Je veux retrouver ma mémé, dit Léna. Qu'en avez-vous fait ? L'avez-vous trucidé et enterré dans la cave pour lui voler ses économies ?

— Mais, Madame, nous ne connaissons point votre mémé et vous prions de bien vouloir nous laisser tranquilles. Nous sommes ici chez-nous.

Sur ce, l'homme lui claqua la porte au nez.

— Ben ça c'est un peu fort, se dit la vieille fille. Non seulement on trucide ma mémé adorée, mais en plus on se comporte en malotru.

Un tutut, et le même robot taxi arriva, ramenant une nouvelle fois Léna au commissariat où le même fonctionnaire l'accueillit.

— On a refroidi grand-mère Dany, annonça-t-elle tout de go au policier ébahi.

— Comment ça, on a refroidi grand-mère Dany ? interrogea le fonctionnaire. Vous voulez dire que vous avez découvert sur Clavène un trafic de viande froide ?

— Non, je voulais dire que j'ai découvert qui a tué mémé.

— Commençons par le commencement, fit le policier.

Jusqu'ici, il n'y avait jamais eu de crime sur Clavène et ce n'était pas cette timbrée fraîchement débarquée qui allait semer la zizanie dans la routine quotidienne.

— Adresse du délit ? demanda-t-il.

— Chez mémé, baraque 7658, Ouest.

L'ordinateur afficha une série de données.

— Grand mère Dany n'a jamais habité cette baraque, constata le policier. Il y a quatorze ans, la maison a été bâtie par un certain Maurice Leprospecteur. Lequel a revendu la baraque à monsieur et madame Martinez il y a huit ans. Ceux-ci viennent y passer deux ou trois semaines par an. Ils sont arrivés ce matin, par le même vol que vous.

— Ben, elle est passée où la vieille, alors ?

Le policier sortit le listing de tous les colons arrivés dix ans plus tôt. Il eut beau chercher dans un sens puis dans l’autre : pas de grand-mère Dany dans le lot.

— Une mémé, ça ne disparaît pas comme ça, tout de même, s'exclama Léna.

— Je ne peux rien vous dire d'autre, Madame. Allez voir mon collègue, qui s'occupe du contrôle des nouveaux arrivants. Peut-être pourra-t-il vous renseigner un peu mieux.

Léna se fit donc conduire par le robot taxi jusqu'aux bureaux de l'immigration.

Un jeune homme charmant l'accueillit et, après qu'elle lui eut narré son affaire, parcourut une série de grands cahiers.

— Négatif, Madame, finit-il par lui dire. Aucune grand-mère Dany, de quelque nature que ce soit. Je ne vois qu'une solution. Il y a erreur sur l’adresse.

— Comment ça, jeune homme ? Je sais ce que je fais, tout de même.

— Et bien, hésita celui-ci, au risque de me répéter je dirai que vous n’avez pas toqué à la bonne porte.

De colère Léna se leva d'un bond et d’un coup sec cassa son parapluie sur le crâne du malheureux.

— Cela vous apprendra à sous-entendre que je suis bigleuse.

— Euh, fit un collègue du jeune homme, je crois qu'il voulait juste dire que vous avez dû vous tromper d'escale. Ici, vous êtes sur Clavène sur Béta IV. Sans doute désirez-vous vous rendre sur la sœur jumelle de notre planète, Clavène sous Béta IV. Toutes les semaines, nous voyons débarquer des passagers qui se trompent.

La vieille fille haussa les épaules et sa valise à la main se dirigea tête haute vers le quai d'embarquement adéquat, tandis que la voix d'une hôtesse annonçait : «Le vaisseau à destination de Clavène sous Béta IV partira du quai trois, dans trente-cinq minutes...»

Vraiment, elle avait bien raison. Dès le début, cette planète ne lui inspirait pas la moindre confiance... Elle aurait dû se fier à son instinct.


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